"La route sera beaucoup plus longue cette fois et Anthony est heureux de pouvoir se rapprocher de son grand-père. Tout du moins, c’est ce qu’il pense, car il ignore que ce dernier a lui aussi quitté sa ville avec sa famille, pour aller habiter à Lutzelbourg dans le département de la Moselle. La famille d’Eva y possède une cristallerie, avec une splendide demeure, dont toutes les pièces de vie sont traversées par un aquarium géant.
Fernand et Claudine vont dire au revoir à leurs amis. Carla et Anthony en font de même directement ou par téléphone. Kathy et Pat sont revenus à la cité du barrage. Ils promettent de se revoir un jour quelque part. Les cœurs sont serrés, on ne quitte pas un aussi beau pays que le Maroc, sans une certaine nostalgie.
Anthony se rend vite compte que ses parents n’ont pas l’intention de tenir leurs promesses ; une fois de plus. Un vélo et une raquette de tennis de champion, il n’aura point. Fernand et Claudine lui mentent (la vérité surgira plus tard au grand jour) en lui disant ne pouvoir emporter qu’une partie de leurs économies. Ils lui font croire qu’ils vont devoir quasiment repartir de zéro en France.
L’adolescent est à mille lieues d’imaginer que ce qui l’attend est sans commune mesure avec ce qu’il a vécu au Maroc.
La veille du départ, Anthony s’enferme dans sa chambre, il a besoin de se retrouver avec lui-même. Ces quinze années passées au Maroc ont été pour lui une myriade de belles rencontres et de solides amitiés, dans ce pays qui correspond si bien à sa personnalité en construction et qui allie chaleur, exotisme, simplicité, partage, joie, singularité, folie, magie et bien d’autres caractéristiques ; mais aussi l’immersion dans une éducation, aussi violente qu’inadaptée, qui a enfermé, l’enfant gai et résolument optimiste qu’il était, dans la peur, le manque d’assurance, le besoin de reconnaissance, la souffrance en réponse aux injustices et au favoritisme de ses parents pour Carla, sa sœur.
Fernand et Claudine n’ont fait que reproduire et même accentuer les effets de leur propre éducation ; qu’obéir à la culpabilité d’un père absent et d’une mère soumise à son mari qui l’a sortie de sa condition modeste, en exacerbant son égoïsme à faire que cela ne profite qu’à ceux sur lesquels elle a jeté son dévolu.
De la sensibilité, des véritables aspirations de leur fils, ils n’ont eu que faire. C’est dans les corvées, l’angoisse de la vie et une pression constante pour être le meilleur à l’école qu’ils l’élèvent.
Anthony souffre, plie, mais ne rompt pas. Il sait que cette liberté à laquelle il est très attaché sera le combat de sa vie.
Les enfants sont-ils là pour pâtir du fait que leurs parents n’ont pas su ou pu entamer ce travail indispensable sur eux-mêmes, afin d’éviter notamment de reproduire les mêmes schémas ?
Un enfant doit rester un enfant. Il n’a point besoin de devenir un adulte avant l’heure, il a plus des trois quarts de sa vie pour cela !"
Patrick Louis RICHARD
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